8 déc. 2008

« Les idées s’exposent » - essai de déconstruction

Dans le cadre de la Présidence française de l’Union européenne, l’Institut National d’Histoire de l’Art (INHA) vient d’accueillir le Forum européen de l’essai sur l’art intitulé Les idées s’exposent. Martine Salzmann a assisté à ce forum. Elle nous livre ici son analyse sous la forme d’un essai de déconstruction.
« Du 20 au 23 novembre 2008 s'est tenu à l'INHA, un Forum européen de l'essai sur l'art, intitulé Les idées s'exposent. La conférence d'ouverture L'Europe, l'invention de la modernité et l'art, rassemblait Patrice Maniglier, philosophe, Françoise Gaillard, historienne des idées et Bernard Stiegler, philosophe. Tous trois témoignaient de "l'état des idées". Bien que la rentrée culturelle de septembre nous ait fait la démonstration du triomphe de l'art contemporain, comme prise de pouvoir de Versailles avec Jeff Koons, et comme Art d'affaires à Londres, avec les ventes de Damien Hirst, il n'y a pas été fait allusion. Étrangement. Car cette actualité artistique témoigne pourtant de façon inquiétante de l'avancée occulte d'un pouvoir. Pas un mot pour saisir ce qui défigure notre présent et manipule notre avenir. La réflexion sur le triangle Europe, modernité et, art semblait n'avoir aucun lien avec la situation de l'art contemporain en Europe… »
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6 commentaires:

Aude de Kerros a dit…

Grace à Martine Salzmann nous pouvons observer comment s'élabore cette pensée officielle sur l'art qui nous aliène. C'est une création purement théorique et coupée de la réalité, une forme post moderne du totalitarisme clérical. Il a ceci de nouveau: Tout est possible: du discours logique impécable mais sans fondelment, à la fantaisie mystique cependant dénuée de transcendence... Il n'y a désormais aucune barrière à la création théorique la plus inouïe. Tout est possible! Sauf la réalité de la fécondité créatrice qui elle coule de source. Voilà l'interdit et le tabou.
Merci Martine Salzmann pour ce décryptage: Lorsque l'on comprend le poison n'agit plus.

grabotte a dit…

Le poison n'agit plus mais comment mettre en cessation d'activité ces broyeurs de concepts, bavards invétérés, et ces fossoyeurs d'artistes et d'art? On sablerait le champagne! Quelle fête ce serait...
Madame Saltzmann pourriez-vous nous prévenir ici quand " le Monde" publie votre texte, car vous savez, je me suis désabonnée à force de bricolage/décervelage, mais si ça se retourne, rien n'est perdu!

Anonyme a dit…

Je vais l'envoyer au Monde, "rien que pour voir". Mais je doute qu'ils éditent cet essai de déconstruction.
C'est une chose d'avoir peur de la levée actuelle d'esprits cultivés qui n'oublieront pas que Le Monde a soutenu l'AC pendant de longues années. C'en est une autre de faire passer un texte qui est un acte, un miroir enchâssé dans un bouclier pour faire reculer la Méduse.
Si jamais cela arrivait vous le sauriez bien vite. De toute manière je vous mettrais au courant.
Par ailleurs, pour chasser ces "broyeurs de concepts" et "bouffeurs d'artistes", il faut faire jour avec l'esprit. Ce sont des vampires, ils ne supportent pas la lumière.

Anonyme a dit…

J’ai lu l’article de Martine Salzmann avec beaucoup d’intérêt et je tiens à la féliciter pour ses observations et analyses. Je sais combien il faut d’attention et de concentration pour extirper d’un ensemble logique bien ficelé les failles qui tordent les tripes par leur incohérence ; déceler quand le conscient veut s’imposer à l’inconscient. Elle a trouvé les subtilités et les mots justes pour le faire.

Ainsi a été souligné l’aspect fondamental de l’impossibilité d’associer l’esthétique à la politique, même en théorie, or la souffrance de l’art se trouve justement là. Je suis par ailleurs étonnée que le glissement du partage sensible à normes du goût ainsi que transformer les matériaux c'est transformer le matériel humain n’ai pas suscité le rappel d'un passé particulièrement sensible et replacé la naissance problématique de l’AC à son origine – après 45. Ainsi on aurait pu noter que les fondements " esthétiques " de l’AC se trouvent justement dans la politique à savoir de faire tabula rasa avec le passé et de faire en sorte que rien ne rappelle plus rien en matière d’esthétique connue. Au départ cette attitude était tout à fait compréhensible, elle a constitué un pôle d’équilibre avec les artistes préférant sauver ce qui avait de la valeur dans la tradition. Elle est devenue problématique, car elle est devenue idéologique en soi et politiquement correcte.

Les idées de Stiegler exprimant que L'adhésion à l'AC est vue comme foi, individuation, processus de propagation du spirituel et production de symbolique sont particulièrement contradictoire, car c’est exactement contre le spirituel dans l’Art et contre le pouvoir transcendantal que l’AC cherchait à œuvrer, contre une idéologie de " l’homme meilleur " qui a été finalement confondu avec le " meilleur dans l’homme ". Rappelons-:nous ce que les expressionnistes ont pris dans la gueule pour avoir tenté de transcender l’homme… Depuis les artistes préfèrent ne plus répondre de leurs actes et créations tout seul – sait-on donc jamais de quoi on pourrait se voir accusé. Impliquer le spectateur comme acteur principal ou du moins fondamental dans la création c’est se dégager de toute responsabilité. L’œuvre pour tenir ce rôle d'incitateur et de test doit n'être rien, à peine la trace d'un vil matériau pour que la disparition de l'artiste et de l'art permette au spectateur de jouir de sa pleine puissance créatrice. Le spectateur comme acteur de la valeur de l’œuvre est un motif redondant de l'AC.

Alors que reste-t-il de plus rentable aux spectateurque les plus aisés que de devenir " actionnaire " de l’AC et d’investir ? Car le conscient (la production purement intellectuelle dont l’AC est issu) ne produit pas de valeur transcendante, seule l’âme, l’esprit, Psychée en somme, qui sont à l’origine de l’Art, peuvent le produire. Quitte à me répéter. Pégase s’est envolé après le triomphe du " regard " sur " l’œil ". Méduse, symbole de la perversion, n’a que l’œil qui pétrifie dans le présent ; dans la conscience d’elle même. Mais elle n’a pas le regard qui voit l’avenir, qui voit au-delà ; ce qui rejoint, je pense, la vision en acte opposée à la pensée de voir.

Merci pour l’article. Bon à tirer dans " le monde ".

grabotte a dit…

Tenir des propos contradictoires vous savez Zeynep Arcan, ne gêne guère les "intellectuels" du jour. On dirait même que c'est leur fonds de commerce. Allez voir le débat avec Olivier Jullien si vous avez le temps... c'est instructif ou écoutez France Culture, c'est pas mal en ce moment m'a-t-on dit.

Anonyme a dit…

Merci Zeynep Arcan pour votre commentaire riche de réflexions.
Grabotte a raison de souligner que l'art de manier les contradictions est une affaire qui ne gêne personne. J'adore y pénétrer pour réfuter un pouvoir que je hais.
Mais je voudrais revenir sur un point de votre commentaire : "l’impossibilité d’associer l’esthétique à la politique, même en théorie, or la souffrance de l’art se trouve justement là".
Je pense que l'impossibilité est justement théorique, il n'est pas possible de glisser de l'esthétique vers le politique sans sauter d'une conception philosophique à une autre.

Dans l'histoire de l'art il y a eu de nombreux moments où l'art et la politique ont été en relation. Yves Michaux en fait une analyse assez fouillée dans "La crise de l'art contemporain". Les expériences artistiques se sont toujours transformées en art officiel, perdant au passage, l'autonomie du sujet.

Ce qui nous fait souffrir serait donc peut-être ce qui nous sauve.

Pour celui qui a choisi de sonder la voie subjective en art, il semblerait, jusqu'à présent, qu'il n'y ait pas de passage vers le politique. Il y a une sorte de mur infranchissable qui sépare les impératifs du sujet et les nécessités du monde.
Pour ma part, ne pouvant pas ignorer le casse-tête que cela représente, j'ai commencé à m'apaiser en traduisant le conflit en termes d'échelles. L'échelle de l'individu n'est pas la même que celle de la société, qui n'est la même que celle du monde.

Partant de cet acte de séparation des sphères de cohérence, il n'est pas exclu que nous puissions avancer sur la question, d'un côté protéger les particularités du sujet, de l'autre articuler les différentes sphères. Dans l'articulation entre les différentes échelles, on rencontre les problématiques liées aux limites (formes, rapports et proportions...). Le respect de la cohérence de chaque échelle permet de retrouver l'usage de certaines notions héritées de l'âge classique.

D'autre part, en France l'articulation entre art et politique, au cours de notre histoire récente, a donné toutes sortes d'expériences et de mouvements. À partir des années 70, une conception de l'homme centrée plus sur le politique que sur le spirituel a posé un tabou sur l'expression de la subjectivité en art, dans le but avoué de venir à bout de la dimension transcendantale de l'expérience artistique et exterminer les classes bourgeoises par l'intérieur. Pendant que les bourgeois s'inventaient une origine prolétarienne, (c'est incroyable ce que j'ai pu rencontrer de cadres de professions libérales dont le père était boulanger en banlieue et la mère femme de ménage), ceux qui ont souffert le plus directement de ce combat idéologique ce sont précisément les artistes qui ont eu le courage de résister et de rester fidèles à leur nécessité intérieure.

C'est là que l'allocution de B. Stiegler a été particulièrement régressive. Au lieu de libérer l'esprit, il a conservé la mise à mort de la transcendance préconisée par les matérialistes et y a ajouté une couche de mysticisme cynique et obscur, d'origine psychanalytico-libérale.
Au moment où l'alternance politique permettait de desserrer l'étau du tabou jeté sur l'autonomie du sujet, il aurait dû s'intéresser aux artistes, noter l'existence des nombreuses recherches contemporaines spirituelles articulant sujet pensant et sujet agissant.
Malheureusement B. Stiegler s'est focalisé sur des dimensions révolues ou inappropriées. Duchamp est mort depuis longtemps et déjà très (trop) bien médiatisé. Et le personnage du spectateur est non-agissant en art, même s'il est agissant dans le marché de l'art. Mais la question du marché de l'art n'est pas celle de l'art, n'en déplaise à l'AC. L'approche de Bernard Stiegler est articide pour deux raisons, elle est centrée sur une approche strictement économique de l'art et n'a aucune relation aux artistes vivants.

Dissident-art contemporain, réponse à Zeyno Arcan le 11 décembre 2008, (impossible à passer le 11).