* Jean Clair, dans l'entretien avec Denis Lafay in "Acteurs de l’économie" n°102 (nov.2011).
Acteurs de l’économie : « L’auteur de L’Hiver de la culture (Flammarion) voit dans l’"état" de l’art contemporain le reflet de celui de la société occidentale, gangrenée par la marchandisation, le consumérisme, le narcissisme et le court-termisme. L’académicien et ancien directeur du Musée Picasso à Paris appelle à ressusciter l’émotion et le sens dans le domaine de la culture et notamment de la création contemporaine. »
Jean Clair : « L’humain en soi n’a pas de "qualité" positive ou négative ; il est un phénomène biologique doublé d’un mystère spirituel. Or, notre époque est bel et bien celle, baptisée post human par les Anglo-saxons, d’une rupture avec l’humanisme des Lumières, et plus encore, d’avec la foi des sociétés religieuses et primitives. Peut-être même est-elle celle, dénommée trans human, d’une mutation profonde de l’humain vers une créature vivante qui conserverait peu ou prou l’apparence physique mais serait dépossédée des caractéristiques traditionnelles. Dans ce contexte de métamorphose et de maturation de la nature humaine, le témoignage de l’art et celui de la création son effectivement aussi visibles que symptomatiques. Ils cristallisent cette profonde altération des attributs, des qualités que l’on associait autrefois à l’être humain. La fascination pour l’éphémère et le transitoire domine - l’œuvre autodestructible serait la plus digne d’être considérée - alors que l’idéal même de l’art est de produire des créations qui se perpétuent à travers les siècles.
…/… L’ensorcellement pour ce qu’il y a de plus immonde et de plus dégradant dans la figure humaine - sang, sperme, urine – s’est imposé dans la création alors que l’art a toujours été une sublimation. Sublimation qui, ici, fait directement référence à Freud bien davantage qu’à une pensée spiritualiste et religieuse. Le psychanalyste voyait en effet dans l’œuvre d’art matière pour l’homme à employer ses pulsions érotiques, organiques, primitives, archaïques, à accomplir douloureusement un dessein qui dépassait sa simple satisfaction, immédiate et grossière. Aujourd’hui, cet accomplissement est aux antipodes, l’art contemporain d’avant-garde exprime le rabaissement et résulte d’une démarche terriblement narcissique…/…Cet art contemporain est le symptôme le plus éclatant du désarroi intellectuel et spirituel de la société occidentale…/… Ce qui domine aujourd’hui, ce sont la dématérialisation et l’abstraction de la connaissance, qui appauvrissent considérablement notre sensibilité mais aussi nos possibilités de "comprendre" les contenus d’ordre scientifique ou esthétique…./… »
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